Vayigash 5779
La merveilleuse lecture de cette semaine va nous conter les retrouvailles entre Yossef et ses frères puis avec Yaacov et son fils ainé Yossef.
En nous arrêtant un instant sur le premier épisode, nous constatons qu’au moment où Yossef se révèle à ses frères – après avoir pris soin de faire sortir du palais tous les étrangers égyptiens – il leur dit tout simplement deux mots : « Ani Yossef », « Je suis Yossef votre frère ».
La Torah précise que ces derniers n’ont pas pu lui répondre tellement ils étaient abasourdis. On ne peut que s’interroger sur cette précision de la Torah : il semble évident qu’ils soient étonnés de voir leur frère roi d’Egypte, persuadés qu’ils étaient de l’avoir laissé pour mort et convaincus de s’être corrompus dans une quelconque voie d’immoralité.
Mais ce qui importe au-delà de la surprise extrême, c’est l’enseignement qu’en tirent nos Maîtres dans la Guemara.
En effet, dans le traité H’aguigua p. 4, Rabbi Eliazar dit à ce sujet que lorsqu’il lisait ce verset, il en pleurait en se disant : si déjà la honte des frères de Yossef était telle devant la révélation de celui-ci, quand sera-t-il pour nous tous, au jour du jugement devant Hachem ?
Mais, je voudrais avec le Rav Shmoulevitch, aller un peu plus loin.
Yossef ne leur fait pas une liste de reproches. Il leur dit tout simplement : « Je suis Yossef votre frère que vous avez vendu en Egypte ». Ce faisant, les frères sont pris d’un vertige, car ils réalisent qu’ils avaient construit toute leur vie, toutes leurs attitudes, toutes leurs démarches pendant des années, autour d’une même certitude, à savoir que leur frère n’était qu’un vulgaire ambitieux. Or, tout s’écroule d’un seul coup.
Voilà ce qu’est la véritable techouva. C’est réaliser que nous nous sommes trompés, que tous les principes sur lesquels nous avions bâti notre vie étaient erronés, par exemple: la nécessité d’obtenir des diplômes de bonnes universités pour gagner sa vie, de parvenir à une certaine notoriété sociale, de posséder des titres, de la considération de la part des hommes etc…
Soudain, nous nous apercevrons que ce pourquoi nous avions construit notre vie, ce pourquoi nous nous sommes battus, n’aura servi à rien. Nous étions dans la mauvaise direction. Cette prise de conscience provoque chez l’homme littéralement un hébétement total, il est perdu.
Voilà ce que voulait dire Rabbi Eliazar. Quand Hachem dira « Je suis Hachem », Il n’ajouta rien d’autre. Nous réaliserons de toutes nos erreurs, du temps infini que nous avons consacré à des bêtises, des choses inutiles, des faux problèmes.
Si nous avions été conscients, ne serait-ce qu’un temps, de la nécessité de Le servir, comme Il nous l’a demandé, et si nous l’avions réellement réalisé, nous n’aurions pas choisi les routes que nous avons empruntées.
Et en fait ce doute là existe jusqu’au bout.
Pour ne citer qu’un exemple, je voudrais rappeler l’attitude de Rabbi Yohanan Ben Zakai, qui au jour de sa mort, était en train de pleurer. A la question de ses élèves qui lui demandaient : « Rabbi, pourquoi pleures-tu ? », il a répondu : « Je vois devant moi deux routes, l’une qui conduit au Gan Eden, au paradis, et l’autre au Gueenam, et je ne sais vers laquelle on va me conduire ». Rabbi Yohanan Ben Zakai ? Le plus grand de tous les Maîtres qui se demande s’il va être conduit au Gueenam ?
Effectivement, dans la mesure où, en ces minutes de vérité, il réalise qu’il a peut-être fait fausse route dans les choix qu’il a opérés, quand par exemple il s’est fait passer pour mort – porté sur une civière pour sortir de Jérusalem encerclée par les romains – il a tout simplement menti.
Bien sûr, il l’a fait pour le bien – afin de négocier avec les romains de la possibilité d‘obtenir d’eux un emplacement pour bâtir une Yéshiva (Yabné) -mais finalement peut-être s’est-il trompé.
Se poser la question ce jour-là, au moment du départ de ce monde, indique bien que le doute va planer jusqu’à la fin de notre vie.
Cette leçon d’extrême humilité, nous l’apprenons de Yossef et de ses frères.
Une belle histoire qui n’est pas simplement romantique, prenante et troublante, mais surtout vraie. Elle vient à temps pour nous poser des questions, car nous avons encore tous beaucoup de temps.
Faisons le bon choix.
Rav Yossef Haïm Sitruk zatsa »l